Microalgues toxiques et changement climatique : un enjeu écologique majeur pour la santé du littoral
D’ici à 2100, de nombreuses proliférations de microalgues toxiques se maintiendront dans les eaux littorales européennes, et ce quel que soit le scénario climatique du GIEC. Des événements extrêmes, plus fréquents et plus intenses, rendront ces efflorescences plus imprévisibles. Elles impacteront davantage la biodiversité de notre écosystème littoral mais aussi les productions conchylicoles. C’est l’un des constats majeurs des équipes de l’Ifremer et de l’Université de Nantes impliquées dans le projet européen CoCliME qui a touché à sa fin.
Lancé en 2017, le projet Coclime (CO-development of CLImate services for adaptation to changing Marine Ecosystems) piloté par le Marine Institute (Irlande) a rassemblé un consortium d’instituts de 11 pays. Il a été financé par plusieurs agences européennes de la recherche dont l’ANR pour la partie française. Objectif : analyser à partir d’études de cas en Méditerranée et en Atlantique, l’impact du réchauffement climatique sur la santé, sur les activités marchandes et récréatives.
Pour découvrir les grands résultats de ce projet européen : Lire le communiqué de presse du Marine Institute
Les équipes de l’Ifremer impliquées dans ce projet européen ont concentré leurs recherches sur les effets du changement climatique sur Dinophysis. Cette microalgue produit des toxines affectant la santé humaine via la consommation de coquillages. Sa présence sur l’ensemble du littoral français est donc surveillée de près par le réseau national de surveillance du phytoplancton et des phycotoxines (REPHY-REPHYTOX) piloté par l’Ifremer. Au-delà d’une certaine concentration en toxines dans les coquillages (seuil de sécurité sanitaire), le réseau prévient les préfectures concernées qui peuvent alors interdire leur vente pour éviter des empoisonnements massifs.
Une microalgue persistante même si l’océan se réchauffe de 2.5 °C
« En fin de printemps, quand l’océan se réchauffe, Dinophysis se multiplie dans le golfe de Gascogne et peut se retrouver dans les bassins conchylicoles, décrit Philipp Hess, chercheur en chimie et spécialiste des phycotoxines à l’Ifremer de Nantes. Pour prévenir ces risques pour la production de coquillages, nous avons donc voulu savoir comment cette microalgue se comporterait selon les différents scénarios d’évolution climatique du GIEC ».
L’équipe nantaise a ainsi testé de nombreuses hypothèses pour anticiper leur développement selon la température, le pH de l’eau, les quantités de pluie, l’irradiation… Résultat : dans tous les scénarios, Dinophysis connaitra des efflorescences au moins jusqu’en 2100. Seront-elles plus importantes qu’aujourd’hui ? « Difficile de le dire, répond Philipp Hess. Les proies de Dinophysis résistent très bien à l’acidification ; un réchauffement de l’eau jusqu’à 2,5°C favorise même leur croissance. Mais ces effets qui laissent à penser que Dinophysis sera plus présent avec le changement climatique sont contrebalancés par la diminution générale de la production primaire dans le Golfe de Gascogne prédite par d’autres équipes scientifiques ».
Cette microalgue nuit aussi aux huîtres et aux poissons
Pour la première fois, des scientifiques de l’Ifremer en collaboration avec des collègues de l’Université de Bretagne occidentale et du Virginia Institute of Marine Science (USA), ont mis en évidence des impacts de Dinophysis sur la santé des ressources marines.
« Nous avons montré en laboratoire que l’une de ses toxines altère non seulement les gamètes des huîtres Crassostrea gigas, affectant leur taux de fécondation, mais aussi les branchies des poissons comme les vairons d’estuaire, Cyprinodon variegatus, et la survie de leurs larves », annonce Philipp Hess. Les efflorescences survenant au moment de la ponte des huîtres pourraient nuire au développement des larves et à la productivité des conchyliculteurs.
Mieux comprendre et anticiper les problèmes de demain des conchyliculteurs
Des chercheurs du laboratoire d’économie et de management de Nantes-Atlantique (LEMNA) ont montré en parallèle que la présence des toxines produites par Dinophysis, est à l’origine de 68 % des 432 arrêtés d’interdiction enregistrés en Bretagne sud et dans les Pays de la Loire entre 2004 et 2018, les 32 % restants étant dus à la contamination par d’autres toxines, bactéries et virus. Cependant, les impacts socio-économiques liés aux efflorescences de microalgues demeurent faibles à ce jour.
Certains conchyliculteurs ont déjà envisagé des solutions pour détoxiquer leurs coquillages et continuer à les vendre pendant les périodes de fermeture. Mais si les durées des fermetures augmentent avec le changement climatique, il faudra créer d’autres procédés plus performants avec des bassins à terre par exemple. Encore faut-il s’assurer que le coût des dispositifs est couvert par les bénéfices obtenus et que la réglementation sanitaire légalise ces nouveaux procédés. D’autres pistes de solutions se sont dégagées de cette étude : la diversification des espèces de coquillages cultivées permettrait de limiter ces impacts ; un meilleur contrôle des rejets en nutriments d’origine terrestres favoriserait le bon équilibre des communautés d’algues et limiterait la prolifération de microalgues toxiques.
L’une des dernières avancées du projet Coclime fait suite aux discussions engagées entre le LEMNA et le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation : l’État a en effet décidé de prendre en charge la seule base de données des fermetures de zones conchylicoles existante en France, à savoir celle de Bretagne Sud et des Pays de la Loire, et de l’étendre à l'échelle nationale. Ce nouvel outil permettra de quantifier en temps réel les durées des fermetures sur l’ensemble du secteur conchylicole et d’évaluer les potentielles conséquences socio-économiques.